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2013-01-18 - SOCIÉTÉ
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Le témoin trop dangereux pour la Commission CharbonneauCorruption au Québec : le visage que vous ne verrez jamais à la CEIC La Commission Charbonneau sera de retour sur nos écrans lundi. L’automne dernier, son premier témoin-vedette avait été Joe Pistone, l’ex-agent spécial du FBI qui avait contribué à décapiter les cinq familles de la mafia de New York dans les années quatre-vingts. Pistone, c’est Donnie Brasco, son alias pendant son travail d’infiltration et le film avec Johnny Depp et Al Pacino. Témoin de contexte, la Commission l'avait invité à comparaître pour nous faire comprendre comment le crime organisé corrompt nos élus et frapper notre imaginaire. Pistone affirmait que le code d’honneur entre voleurs était une illusion, son témoignage en contradiction avec le romantisme d’un film comme Le Parrain et plus proche de la réalité dépeinte par Les Affranchis ou Casino. Mais, comme Donnie Brasco, ces longs-métrages nous enveloppent de bandes sonores on ne peut plus hollywoodiennes. Séduisantes? Alors, moi, mettre en scène le film de la CEIC, pour accompagner le témoignage de Pistone, j’y serais allé avec Sympathy For The Devil. Vous connaissez? Sympathy For The Devil, c’est l’improbable et efficace samba des Rolling Stones où le narrateur se présente comme un homme à l’aise et de goût. Dans le coin depuis de longues années - tellement d’âmes à voler - il était là quand Jésus eut son moment de doute, s’assurant que Ponce Pilate s’en lave les mains, scellant son destin. Enchanté, j’espère que vous avez deviné son nom, mais qu’est-ce que Lucifer vient faire à la Commission Charbonneau? La Commission nous a offert sur un plateau d’argent le spectacle d’une collusion entre élus et entreprises pour se servir à ce buffet payé par nos taxes. Devant ce cinéma, plusieurs y ont vu confirmation qu’en politique tout s’achète. Mais qu’en est-il de notre haut-le-coeur collectif? Et quand tout est dit, qui est à blâmer pour cette corruption institutionnalisée? Revenons à un argument-clé présenté par Pistone. «N’importe quel produit sur lequel la mafia met les mains finit par coûter plus cher au public.» La dette du Québec dépasse les 250 milliards de dollars, en majorité pour des services envolés en fumée. Faudrait-il s’en prendre aux pauvres, nos souffre-douleur habituels, ces «maudits BS» qui coûtent si cher? En 2012, la part du budget de l’état consacrée aux assistés sociaux était inférieure à cinq pour cent. Pas qu’on ne puisse pas acheter le vote des pauvres, remarquez. Mais, comme ils sont pauvres, leur vote coûte moins cher. Soustrayons un système de santé qui a perdu les pédales, avec près d’un fonctionnaire par médecin et infirmière, et qui tourne autour de quarante pour cent du budget, que reste-t-il? Surtout, pour l’ensemble les dépenses du gouvernement, quelle est la part en pots-de-vin? Le 15 janvier, le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec a réclamé une enquête sur l’octroi des contrats et les perpétuels dépassements de coûts dans les projets informatiques payés par le gouvernement québécois. Le 16, Le Devoir rapportait que Jean-François Blain, analyste en énergie, soupçonnait qu’Hydro-Québec s’était faite «complice de l’ancien gouvernement libéral en octroyant à tous les vents des contrats d’approvisionnement en électricité superflus.» En 2008, au nom d’une vertu qui a fait le bonheur des garagistes, le gouvernement libéral rendait obligatoire l’usage de pneus d’hiver au Québec. Je ne doute pas un instant des bonnes intentions du gouvernement, mais, comme derrière la plupart des entreprises humaines se cache un signe de dollar, je me suis toujours demandé si, par hasard, nous ne verrions pas éventuellement sortir un quelconque conflit d’intérêts au sujet de cette histoire, réel ou apparent. En matière de corruption, toutefois, j’ai en exclusivité une toute autre histoire à partager avec vous. Je suis assis dans une salle à manger bon chic bon genre de Québec, en visite chez des connaissances. Une voiture de luxe est stationnée dans l’entrée. Rangée dans son coffre, une ces minivoitures de ville à la mode, le modèle avec les poignées de cercueil optionnelles qu’on peut visser sur les portières. La famille qui me reçoit revient des États-Unis. Juste avant de partir en vacances, le plus vieux, étudiant à l’université, a quitté son emploi à temps partiel et s’est mis sur l’assurance-chômage. Il prévoit passer son été à se «chercher un emploi»... allongé au bord d’une piscine creusée. Pour ajouter l’injure à la blessure, employée dans une boutique pour se distraire, la mère a fait pareil: chômage. Le papa, lui, est fonctionnaire. Il travaille au noir à temps perdu. Je regarde cet étudiant, tout beau tout propre avec son polo griffé. Il se pense à droite. «Toucher du chômage? En as-tu vraiment besoin?» Et lui de me répondre : «Oui, mais, c’est mes taxes et j’y ai droit. Tout le monde profite du système.» Il devient songeur, avant d’ajouter: «pour moi, c’est quand même pas mal d’argent.» Cet échange a eu lieu au temps du gros party, dans un Québec apathique pour qui les histoires de corruption et la série Les Bougon relevaient d’un futur tenant de la science-fiction. Je m’étais contenté de répliquer par un «ah» inoffensif. Tenter d’avoir raison ne donnait rien et j’avais envie de finir mon souper. Distraitement, entre deux bouchées, je me suis quand même demandé à quel moment le montant d’un vol devient assez important pour devenir excusable aux yeux du principal intéressé. Dans Sympathy For The Devil, Mick Jagger nous chante un Lucifer qui confesse avoir «crié ‘qui a tué les Kennedy’ quand, après tout, c’était vous et moi.» Corruption au Québec, le témoin trop dangereux pour la Commission Charbonneau, c’est ce citoyen moyen qui monnaye son vote en fonction des promesses qui lui sont faites et des petites transgressions sur lesquelles on ferme les yeux. Nommez-moi un politicien élu en promettant de donner moins de pain et de jeux à ses électeurs. À gauche comme à droite, il y a toujours ce «oui, mais» qui donne bonne conscience. Profiteurs de gauche, ou de droite, c’est selon. Dans la redite le message: la dette du Québec dépasse les 250 milliards de dollars et la part du budget consacrée par l’État aux assistés sociaux est inférieure à cinq pour cent. En fait, elle tournerait autour de trois pour cent. Le crime organisé corrompt nos élus? Ayons un peu de sympathie parce qu’il est peut-être temps de comprendre que c’est le pouvoir tout court qui corrompt, celui de répondre «non» ou «oui» quand on est en charge des clés du buffet. Je serais tenté d’ajouter: n’importe quel produit ou service sur lequel l’état met les mains finit par coûter plus cher au public. C’est un autre débat, remarquez. Un colisée, avec ça? «Oui, mais...»
Éric de la Noüe
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