Éric de la Noüe
La première minute
2011-11-15 - POLITIQUE
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Union ADQ-CAQ: Le marié est-il le meilleur parti?

Un vote pour l'ADQ, c'est un vote pour...

Après une semaine de vacances des nouvelles de notre étang, j’ouvre mon Journal de Québec en plein sur la caricature d’Ygrec. Je n’aime pas ce que je vois. Gérard Deltell est en robe de mariée, impassible, un doigt pointé vers François Legault. Non, pas le majeur.

Et un curé laïque étole fleurdelisée dit:       

«Promettez-vous d’abolir les Commissions scolaires et de privatiser en santé pour le meilleur et le pire? Dites: oui je le veux.»

Et, bien que Jean-Michel Anctil ne soit pas illustré sur la caricature, François Legault, alliance en main, sue à grosses gouttes pendant que, trois points de suspension, il marque une pause équivalente à une sieste de Râteau avant de répondre d’une voix ferme:

«HEU…»             

Donc, l’ADQ est en pourparlers de fusion avec la CAQ. Ygreck vient de me sauver l’écoute du téléjournal une fois de plus. À l’âge qu’a Monsieur Deltell, je pourrais lui reprocher d’avoir choisi une robe de mariée blanche. Je pense qu’un tailleur noir aurait été plus convenable. Quant à s’être laissé séduire par Monsieur Legault, je ne sais pas encore, il a peut-être des atouts que nous ignorons. Mais j’aime Monsieur Deltell et j’ai beaucoup de respect pour la tâche ingrate qui a été la sienne ces dernières années - les Iznogoud de ce monde n’ont pas exactement fait la file pour être calife à sa place. Je suis aussi un de ces Québécois un peu bizarres, à croire que le Québec a besoin de laisser plus de place aux idées de droite. Alors, je me sens le droit, le devoir, de poser la question: le marié est-il le meilleur parti pour lui? Pour nous?

À quel point en sont Messieurs Deltell et Legault dans leurs rituels nuptiaux? Nous vivons dans une société dite «moderne». Parfois, les unions sont consommées avant l’échange des alliances et la mariée enceinte devant l’autel. Mais à voir les parents, je me demande à quoi pourrait ressembler le petit et qui va porter les culottes.

Un fédéraliste de droite convole avec un souverainiste se réclamant de la gauche. Ça risque de faire passer la direction bicéphale de Québec solidaire pour une union modèle. Jean Charest risque d’en faire des gorges chaudes. À continuer à lire mon journal en attendant ma commande, je me rends compte que c’est chose faite.

Et, un soir de patates frites mayo maison plus cinq ketchups, en page vingt de l’édition du neuf novembre du Journal de Québec, c’est titré: «FUSION Charest niaise les caquistes».

«Les gens savent à quoi s’en tenir avec un gouvernement libéral, pas avec un parti dirigé par un ancien ministre péquiste qui a laissé de côté la souveraineté», prévient Monsieur Charest.

Concernant l’ancien ministre péquiste, je ne sais pas plus à quoi m’en tenir qu’au sujet de ses amours avec un fédéraliste de droite. Par contre, Jean Charest est cent pour cent dans le vrai quand il nous prévient que nous savons à quoi nous en tenir au sujet de son gouvernement.

Avec ce que vous savez, vous, souhaitez-vous voir Jean Charest à la tête d’un gouvernement libéral aux prochaines élections? Dans le contexte actuel, voudriez-vous d’un gouvernement libéral tout court? Si la réponse est non, il va falloir s’intéresser sérieusement à la mariée, sa dot, et son prétendant. Là, là, pas après le magasinage de Noël.

Mes sympathies adéquistes étant ce qu’elles sont, au premier coup d’œil j’ai été peiné de voir qu’Ygrec avait décidé que Monsieur Deltell serait celui qui tiendrait le rôle de l’épouse. Appelons-ça le relent d’un prisme poli à une autre époque, quand le mari paraissait être la plus haute instance dans le couple. Bien que, le Québec étant une société matriarcale… on peut toujours espérer que Gérard Deltell occupe le haut du pavé, mine de rien.

Une chose est certaine. Une Adéclaque (Action démocratique pour l’avenir de la coalition du Québec) gouvernerait certainement plus à gauche que l’ADQ telle que nous la connaissons maintenant. Ce qu’il faudrait voir, c’est si cette Adéclaque gouvernerait plus à droite que les libéraux ou les péquistes. Le vrai enjeu aux prochaines élections provinciales sera la dette du Québec et un redressement de ce qui restera des finances publiques. Aussi avec un «Y»,  la fin du party s’en vient, les amis, je vous le dis. Épelez-moi le mot «austérité» dans l’ordre et, dans tous les sens du terme, le désordre.

Évidemment, la donne actuelle au Québec fait qu’il est impossible de se faire élire sur un programme électoral qui ne soit pas clientéliste à outrance. Il faut promettre le beurre et l’argent du beurre. Il faut dire aux gens qu’ils sont beaux et en aucun cas promettre du sang et des larmes. Ça, c’est bon pour les Anglais, et uniquement quand un petit caporal s’emploie à envoyer des gentillesses sur Londres.

Vous rappelez-vous Jean Charest, version 2003, à promettre une réingénierie de l’état? J’attends toujours, et vous? Alors, à faire des promesses en visant le centre d’un axe où les extrêmes sont gauche et plus à gauche, à quoi pourrait-on s’attendre après les élections? Un glissement vers la gauche afin de ne pas trop faire de vagues? Un automne de «réingénierie» en 2003, le chemin qui y menait a été bloqué net par quelques barricades.

Je suis conscient de poser des questions déplaisantes. Mais je pense essentiel de les poser maintenant, avant que le contrat de mariage ne soit signé et l’enfant conçu. Ce faisant, elles pourraient aussi contribuer à grossir la taille de la dot de la mariée.

N’en demeure pas moins, je suis un pragmatique. Un tien vaut mieux que deux tu l’auras. Je pense au parcours du combattant de Stephen Harper, au chemin qui l’a conduit à la tête du Parti conservateur puis au pouvoir. Le point de départ était l’Alliance canadienne, incarnation politique de ses idéaux. Il a mis un peu d’eau dans son vin et a quand même réussi à accomplir une grande partie de ses objectifs.  Parenthèse ouverte fermée rapidement, je ne crois pas qu’il en ait terminé avec la liste des réalisations qui lui sont chères. Just watch him. Mais lui dispose de plus de temps. D’autant plus que Monsieur Harper est une de ces étonnantes créatures politiques, genre avec une colonne vertébrale, qui réussissent à maintenir le cap de leur navire, tempête ou pas. À contrôler l’agenda, aussi. Vous y penserez. Même maintenant, je pense qu’il demeure sous-estimé.

Ce que je suis en train de vous dire, c’est qu’il est possible qu’une fusion de l’ADQ avec la CAQ puisse permettre la réalisation d’une partie suffisante de son programme. La variable politique majeure, c’est le contexte. L’histoire s’accélère. La dette du Québec est une abstraction depuis trop longtemps. Collectivement, nous ne réalisons pas à quel point le mur est proche. Toutefois, cette proximité du mur va commencer à être remarquée par plusieurs avec une intensité croissante cet hiver. Assez pour en secouer plus d’un dans son confort intellectuel et son confort tout court. Dans la perception du public, le déclencheur sera l’inflation.

La force, c’est le nombre, le nombre, le nombre. Y aura-t-il suffisamment de gens à prendre conscience de l’urgence de repenser le Modèle québécois pour rouvrir une porte à l’ADQ ? Une ADQ se relevant seule et fière de l’être? Y a-t-il un actuaire psychologue dans la salle? Il y aurait une profonde ironie à voir des préoccupations «typiquement» adéquistes devenir épidémiques chez l’électorat alors que ses militants viendraient juste de monter à bord d’un autre bateau, à regarder s’enfoncer dans la mer la poupe du navire qu’ils viennent de saborder. Je vois même la petite hélice qui tourne et les glous-glous.

L’autre variable est évidemment à quel moment les élections seront déclenchées. Avantage: Jean Charest. Voilà ce que ça donne, de ne pas tenir de scrutins à date fixe.

Toute la cage des homards est là, l’attrape : ce contexte qui change mais qui n’a pas encore atteint son point de bascule au Québec. Dans les faits, le vrai enjeu des prochaines élections sera les finances publiques. Il n’est cependant pas impossible que le public n’en prenne conscience qu’après coup.

Bien sûr, la perspective du pouvoir pour le pouvoir c’est toujours tentant. Parlez-en aux péquistes, à supporter Madame Marois en congrès pour ensuite la renier six mois plus tard quand il apparait clair que le PQ a besoin de beaucoup plus qu’une liposuccion pour reprendre le pouvoir. Ou conserver les sièges sur lesquels certains sont assis, n’est-ce pas?

J’ai déjà simplifié ma pensée à l’extrême face aux péquistes. Je ferai peut-être amende honorable une autre fois. Mais vouloir être à la fois vache et mal informé, je ferais tout de suite un amalgame entre des angoisses péquistes et adéquistes face au pouvoir de l’argent… et d’une pension. Mais il est encore trop tôt, comme il est trop tard pour retourner sa veste. Je vais me limiter à mentionner que s’il y avait un moment pour obtenir un job en politique sur la force d’une marque de commerce quelconque, c’était sur celle de Jack Layton aux dernières élections fédérales.

Avez-vous fait le saut en politique par conviction, pour faire un monde meilleur, ou êtes-vous en politique pour vous offrir un monde meilleur? Un choix parmi d’autres. Vous pouvez devenir ministre de rien ou député de tout. Essayez maintenant le chapeau pour voir s’il vous fait.

Ça ne prend pas grand chose parfois. Un changement de contexte, un minuscule intangible qui devient l’étincelle mettant le feu aux poudres. Après le départ de Brian Mulroney en 1993, le Parti conservateur était aux prises avec de légers problèmes rappelant ceux que connaît présentement le Bloc québécois. Vous rappelez-vous Joe Clark et son stupéfiant baroud d’honneur durant la campagne électorale fédérale de 2000? Cet homme-là a sauvé les meubles du Parti conservateur et lui a permis de racheter la maison quelques années plus tard. Ça a pris un moment, je sais, et pas sous la forme que Monsieur Clark aurait souhaitée. Mais en 2000, Joe Clark a fait preuve d’un courage politique et personnel remarquable. Son courage appartient maintenant à l’histoire, et s’il existe un homme politique canadien qui peut marcher la tête haute c’est bien lui.

À vous rappeler ce moment, le lecteur attentif aux nuances sera peut-être tenté de me dire que le courage de Joe Clark a été suivi par la fusion de deux partis politiques et que celle-ci lui fit claquer la porte. Je sais. Monsieur Clark a cependant pris ses distances devant la crainte de voir le Parti conservateur glisser vers la droite tandis que c’est un glissement de l’ADQ vers la gauche qui m’inquiète. La nature profonde de la peur est la même, toutefois, celle de voir une formation politique se dénaturer. Et c’est pour ceux qui partagent ces mêmes appréhensions que j’écris aujourd’hui.

Je m’adresse donc aux adéquistes mais je m’adresse autant sinon plus à ceux qui sur la clôture sont à craindre que le Québec ne meure noyé sous sa dette. Un tel moment venu, ce sont tous les acquis sociaux arrachés à la force du poignet il y a trois générations qui seront soldés dans une monumentale vente de faillite. Ici, je parle de cette chair sur l’os de la pauvreté, pas du caviar que s’est offert à la louche une certaine gauche. Entendez-vous le glas de la Grèce? Il sonne pour nous tous.

Un pan marquant de l’histoire du Québec est en instance de s’écrire. À ceux qui doutent, à ceux qui ont peur, j’ai envie de vous dire de penser au regard de vos enfants quand la poussière sera retombée. Quand, vous, vous appartiendrez à une histoire récente, comme celle de Joe Clark aujourd’hui.

Un rendez-vous s’en vient. Il n’est pas impossible qu’il puisse permettre le retour de ces géants de la politique, hommes et femmes d’état plutôt que ces insignifiants mangeurs de hot-dogs myopes et sans épine dorsale. S’il nous reste des géants, bien sûr. Et si notre passivité complice devant un système éducatif déterminé à faire de nos enfants des nains n’a pas été trop grande.

Est-il trop tard? Il est minuit moins cinq. Mais même à minuit une il n’est jamais trop tard: c’est simplement un jour nouveau qui commence. Et à jour nouveau, l’importance de livrer les combats d’aujourd’hui, de demain, et non ceux d’hier. Pensez à vos enfants. Pensez à l’espoir dans leurs yeux, parce que c’est le vôtre qui s’y reflète. Vous êtes des géants, des modèles. Si vous en décidez ainsi. Autrement, ne comptez pas sur moi pour leur dire que vous êtes beaux.

Je vous aime. Peut-être.

Cette envolée poétique faite, redescendons dans le ring. Même si le Québec a plus tendance à foutre ses premiers ministres à la porte qu’à s’en choisir des nouveaux – suivant, l’autre on ne l’aime plus! – une campagne électorale percutante demeure nécessaire pour être élu. Peu importe qu’après on passe tout son mandat à tremper son pain dans l’assiette en prenant un air innocent, il faut d’abord la formule assassine pour administrer cet électrochoc qui viendra neutraliser la prime de l’urne.

Et ça m’amène à Jean Charest, artisan potentiel d’une renaissance de l’ADQ. Précisons que je n’ai jamais vu Monsieur Charest manger, mais je l’ai vu sur le terrain. Jean Charest est un formidable campaigner, et il existe une ou deux formations politiques où je serais tenté d’envoyer son curriculum vitae. Imaginez un parti bicéphale, avec Monsieur Charest pour faire campagne et un autre pour gérer la machine une fois les élections gagnées. La gérer comme il faut, s’entend.

Au débat des chefs, je verrais très bien Jean Charest nous dire avec conviction:

«Un vote pour l’ADQ, c’est un vote pour l’ADQ.»

En tout cas, si Monsieur Charest devait décider de ne pas vous le dire, moi je vous le dis: un vote pour l’ADQ, c’est un vote pour l’ADQ. Et vous pouvez me citer.

Vous, vous en pensez quoi?

Vous avez mes notes maintenant. Je vous invite à les comparer avec les vôtres. Bonne réflexion. Moi, je retourne me regarder dans le miroir, à continuer à me poser de sérieuses questions sur ma passivité des vingt dernières années. Parce que je ne me sens pas plus beau que vous.

On s’en reparle.


Éric de la Noüe

11 novembre 2011



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Commentaires: eric@lapremiereminute.ca

NOTES

CARICATURE D’YGREC

La caricature d’Ygrec est ici:

Quand vous voudrez faire semblant de travailler, visitez son site, c’est hilarant et il m’épargne à l’occasion l’écoute du téléjournal.

Les 13 et 14, Ygreck a commis deux autres caricatures dignes de mention:

J’adore le deltaplane à pédales:

DÉVELOPPEMENTS

Ce texte a été rédigé le soir du 9 novembre 2011. J’y ai apporté des révisions mineures le 11 suivant mais les choses vont vite:

GILBERT LAVOIE / LE SOLEIL

Le samedi 12, Gilbert Lavoie du Soleil a publié une très bonne chronique: Et si l'ADQ refusait de mourir... Le nez un peu plus proche que moi de l’action, Monsieur Lavoie parle, lui, d’un scénario où l’ADQ disparait purement et simplement au profit de la coalition de François Legault.

Vous pouvez la lire dans le site de Cyberpresse:

IAN SÉNÉCHAL / LES ANALYSTES

Dans le site Les Analystes, Ian Sénéchal a mis en ligne le dimanche 13 un texte où il écrit qu’il «est évident qu’une fusion ADQ-CAQ ne servirait les intérêts que des quelques élus adéquistes et de tous ces gens qui ont cautionné la dette du parti.»

Il ajoute plus loin:

«Les mouvements politiques de droite ont plus de vigueur que jamais au Québec. C’est du côté de la partisannerie politique qu’il y a un problème. Le seul véhicule disponible est cabossé pas à peu près.»

Candidat défait de l’ADQ aux élections de 2008, Monsieur Sénéchal est aussi cofondateur du Réseau Liberté-Québec.

C’est ici:

PHILIPPE DAVID / CONTREPOIDS

Le 13, dans La naissance de la CAQ signifie-t-elle la fin de la droite au Québec?, Philippe David du webzine Contrepoids prend position:

«C’est mon espoir et celui d’un grand nombre de partisans de la droite libertarienne et économique que la proposition de fusion soit soumise à un vote des militants et soit battue. Les membres du comité exécutif et du caucus qui ont soutenu la fusion démissionneraient, ou seraient invités à partir, laissant la place à des successeurs qui sont vraiment de droite. Pour cela, il faudrait que les vrais partisans de la droite reviennent au bercail et peut-être que de nouveaux partisans viennent rejoindre leurs rangs.»

C’est ici:

www.lapremiereminute.ca